
Introduction : Paris, cœur battant d’un royaume en tourmente
La fin du XIVᵉ siècle est un moment de bascule pour la France. Sous le règne troublé de Charles VI, la capitale ressemble à une fournaise où s’entremêlent les inquiétudes religieuses, les rumeurs populaires, les crises politiques et les troubles de la folie royale. C’est dans ce tumulte que se tient, le 29 octobre 1390, un procès appelé à marquer l’histoire : celui de Jeanne de Brigue, une simple femme du peuple devenue, le temps d’un jugement exemplaire, la première “sorcière” condamnée dans Paris par le Parlement.
Cet événement n’est pas seulement une affaire criminelle. Il inaugure une ère nouvelle où les institutions, s’appuyant sur la foi chrétienne et le besoin d’ordre, cherchent à purifier la société des influences jugées maléfiques. Au cœur d’un royaume qui se veut chrétien, structuré par la tradition, l’honneur et la continuité, la lutte contre le démon devient un enjeu spirituel et politique.
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Le contexte : un royaume affaibli, une capitale en quête de pureté
À cette époque, la France vient de traverser une série de traumatismes :
– la guerre de Cent Ans saigne le pays depuis des décennies,
– les épidémies de peste ont ravagé les populations,
– la confiance dans le souverain vacille à cause des crises de démence de Charles VI.
Dans un royaume profondément chrétien, ces catastrophes sont vues non seulement comme des drames humains, mais comme des épreuves divines. On cherche des explications, tantôt dans le péché, tantôt dans l’invisible. Les frontières entre justice civile et morale chrétienne sont minces.
Le Parlement de Paris, institution majeure du royaume, se trouve en première ligne. Il veut restaurer l’autorité, rappeler l’ordre moral, affermir l’unité du royaume. Dans cet esprit, s’attaquer à la sorcellerie devient un acte de défense du bien commun.
C’est dans cette atmosphère lourde d’attentes et de peurs que le nom de Jeanne de Brigue, habitante de la paroisse Saint-Gervais, remonte aux oreilles des juges.
Jeanne de Brigue : une femme du peuple au cœur d’un ouragan
Jeanne n’est ni une magicienne redoutée, ni une figure sulfureuse. Elle est une femme du quotidien, connue pour des “petits pouvoirs” attribués dans les milieux populaires : retrouver des objets perdus, apaiser des maladies, murmurer des prières particulières, faire revenir un mari fugueur. Ces pratiques, aujourd’hui encore visibles dans certaines traditions rurales, relevaient alors d’un syncrétisme ancien entre coutumes locales et spiritualité chrétienne.
Mais dans une société en tension, ces gestes deviennent suspects. Ce que les paysans considéraient comme des dons ancestraux, le Parlement y voit du surnaturel illicite : la trace du diable.
Les témoins se succèdent, portant leurs peurs plus que des preuves. La rumeur, déjà puissante à cette époque, enfle. Dans un Paris où la densité humaine rend les esprits plus inflammables encore, il suffit d’un souffle pour faire basculer une vie.
Le procès : quand le Parlement fait de l’exemple un symbole
Le 29 octobre 1390, Jeanne comparaît devant le Parlement. Ce n’est pas une juridiction locale : c’est le cœur même de la justice royale, la voix de l’État capétien. Un lieu où l’on juge au nom de l’unité du royaume et de la foi chrétienne.
Les accusations sont redoutables :
- pactes démoniaques,
- sortilèges mortels,
- sabbats nocturnes,
- commerce avec le démon
Sous la torture — pratique courante dans la procédure inquisitoire — Jeanne avoue ce que les juges attendent, mêlant souvenirs, visions, trouvailles de l’esprit et paroles arrachées dans la douleur. Les aveux deviennent vérité judiciaire.
Ce qui n’était qu’un dossier fragile se transforme alors en affaire exemplaire : le premier jugement officiel pour sorcellerie à Paris.
La condamnation tombe, implacable.
Le bûcher : la purification par les flammes
Jeanne de Brigue est livrée au bûcher, châtiment réservé aux ennemis spirituels du royaume. La place publique, où se dressent les fagots, devient le théâtre d’une mise en scène de purification. Aux yeux de l’époque, ce geste n’est pas seulement répressif : il est aussi moral, presque liturgique, un acte de défense de la communauté chrétienne.
La foule voit s’élever la fumée, et avec elle les craintes et les fantasmes. L’image est terrible mais, dans la logique médiévale, elle marque une frontière nette entre le royaume de France, fidèle au Christ, et les forces de ténèbres.
Ce bûcher allume un signal : désormais, Paris — puis toute la France — traquera les pratiques jugées contraires à l’ordre chrétien.
Anecdote originale : l'affaire mystérieuse du “Chat du Marais”
Un détail rarement évoqué dans les chroniques, mais rapporté dans quelques registres secondaires, raconte un épisode étrange lié à l’enquête contre Jeanne : la disparition d’un chat noir dans le quartier du Marais, juste avant l’arrestation de la jeune femme.
Selon ces témoignages, plusieurs voisins accusèrent Jeanne de “faire parler les bêtes”, pratique considérée comme un signe certain de commerce avec l’ombre. Ce chat, réputé proche de la famille d’un notaire local, fut prétendument vu “disparaître” entre les mains de Jeanne — une histoire que personne ne sut jamais vérifier, mais qui marqua la rumeur.
Cette anecdote montre à quel point la peur du surnaturel imprégnait les mentalités : un chat disparu pouvait soudain devenir une preuve de sorcellerie. Dans le Paris médiéval, la frontière entre le réel et l’imaginaire était poreuse, et les superstitions locales jouèrent un rôle déterminant dans l’affaire.
Un tournant majeur : naissance d’une chasse aux sorcières française
Le procès de Jeanne de Brigue n’est pas seulement un événement tragique. Il marque le début d’un mouvement profond :
- rationalisation des procédures,
- inscription de la sorcellerie dans la sphère judiciaire,
- montée en puissance des enquêtes royales,
- coordination entre justice séculière et clergé.
Pendant trois siècles, des milliers de femmes (et quelques hommes) seront jugés, parfois dans des villages reculés, souvent dans les grandes villes. Le Parlement de Paris deviendra l’un des bastions de cette lutte juridique contre le mal invisible.
La figure de la sorcière, autrefois marginale ou folklorique, devient un enjeu politique, moral, spirituel.
La France, royaume chrétien, veut se montrer digne de sa mission : protéger les âmes contre les dangers qui rôdent.
Une mémoire française : comprendre sans juger le passé
Aujourd’hui, l’histoire de Jeanne de Brigue nous touche car elle nous parle de fragilité humaine, de justice en construction, de croyances profondes. Elle nous rappelle aussi la puissance des institutions quand elles portent le poids de la foi, de la tradition et de la défense de la communauté.
Mais elle nous enseigne également la prudence : comprendre le Moyen Âge, c’est accepter une vision du monde différente, où le spirituel imprégnait chaque geste, chaque peur, chaque décision.
Jeanne de Brigue n’était ni héroïne, ni démon : elle était une femme prise dans les filets d’un temps troublé, sacrifiée sur l’autel d’une recherche d’ordre et de pureté.
La France chrétienne médiévale, exigeante et structurée, se battait pour son unité. Et à travers ce combat, elle construisait aussi son histoire — parfois dans l’ombre des flammes.








