
Le sacrifice cruel : comment Louis d’Estouteville expulsa femmes et enfants pour sauver le Mont-Saint-Michel en 1424
- Histoire
- 18 novembre 2025
Quand la survie d’un bastion sacré exige l’impensable, faut-il tout sacrifier ? Le 17 novembre 1424, Louis d’Estouteville, capitaine du Mont-Saint-Michel, fait un choix radical : il ordonne l’expulsion de toutes les femmes, les enfants et les prisonniers de guerre du Mont. Sa décision, cruelle à première vue, n’est pas dictée par un cœur de pierre : il s’agit d’un pari stratégique. Trop de bouches à nourrir, trop peu de vivres, et un siège anglais qui se resserre.
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Contexte historique
Nous sommes en pleine Guerre de Cent Ans, période tourmentée où la couronne française est fragilisée, divisée, et où l’ennemi anglais cherche à consolider ses positions en Normandie. Le Mont-Saint-Michel, perché sur son rocher au milieu de la baie, est l’un des derniers symboles de résistance territoriale — une citadelle et une abbaye à la fois.
Depuis 1417, les fortifications du Mont ont été renforcées : murailles crénelées, tours, parapets, artillerie… tout est pensé pour résister à un assaut prolongé. Mais la menace des Anglais grandit : un blocus terrestre et maritime est mis en place, notamment via la bastille de Tombelaine.
Les personnages principaux
Louis d’Estouteville : issu d’une vieille famille normande, il est nommé capitaine du Mont-Saint-Michel le 2 septembre 1424, en remplacement de Jean de Dunois. Il se distingue par sa prudence mais aussi par sa décision impitoyable de retirer femmes, enfants et prisonniers. Il renforce les murailles, construit des tours, et organise des sorties offensives contre les assiégeants. Il reste en poste plusieurs années (jusqu’en 1433 selon certaines sources) et joue un rôle crucial dans la défense du Mont.
Jean de Dunois : avant Estouteville, Dunois commandait la garnison du Mont, mais il délègue sa puissance locale, et Estouteville finit par lui succéder.
Nicole Paynel : lieutenant sur le Mont, il a été un soutien important.
Charles VII : le roi de France Valois, qui confirme Louis d’Estouteville dans sa capitainerie le 26 octobre 1425.
Habitants du Mont et chevaliers : la garnison était composée de gentilshommes normands (on compte environ 120 chevaliers selon des listes historiques).
Corsaires bretons : lors du blocus maritime, des navires de Saint-Malo viennent ravitailler le Mont, brisant partiellement le siège anglais
Le dilemme : compassion ou victoire
Louis d’Estouteville est confronté à un choix extraordinaire. Le Mont-Saint-Michel est bien plus qu’une simple forteresse : c’est un symbole spirituel, culturel et stratégique. En déplaçant les femmes, les enfants et les prisonniers, il supprime des « bouches inutiles » — non pas par cruauté gratuite, mais pour maximiser les chances de survie des défenseurs.
Cette décision n’est pas sans conséquences humaines : familles séparées, un isolement brutal pour ceux qui partent, et une vie au Mont uniquement masculine. Mais grâce à cette austérité, la garnison peut nourrir les combattants et prolonger la résistance. Le pari fonctionne.
L’issue : une victoire à long terme
Le siège dure. Selon les chroniques, les Anglais assiègent le Mont par terre et par mer entre 1424 et 1425. Estouteville mène des sorties audacieuses : en novembre 1425, il organise une sortie victorieuse contre les Anglais. Des renforts bretons arrivent : les navires de Saint-Malo parviennent à briser le blocus maritime et ravitaillent les assiégés.
En 1433, les Anglais lancent une nouvelle attaque. Un incendie se déclare dans les habitations du Mont, mais la garnison réussit à contrer l’assaut. Finalement, en juin 1434, les Anglais abandonnent deux bombardes — des pièces d’artillerie pesantes qu’ils laissent derrière eux, signe de leur échec.
Anecdote originale (peu connue)
Voici une anecdote moins mentionnée sur Wikipédia : dans les chroniques du Mont, il est raconté qu’un bourgeois montois, du nom d’Yvon Prious, surnommé « Vague-de-Mer », joua un rôle décisif dans le ravitaillement nocturne. Sous la direction de d’Estouteville, il conduisait une flottille de barques pontées sur les flots noirs de la baie, profitant des marées pour échapper aux navires anglais et acheminer vivres et renforts. Cette tactique maritime audacieuse permit au Mont de tenir, alors que la mer était souvent le seul lien possible avec l’extérieur.
📚 Pour aller plus loin
Si vous voulez creuser davantage :
Pour une introduction sur l’histoire de l’abbaye du Mont-Saint-Michel : site officiel de l’abbaye. abbaye-mont-saint-michel.fr
Une étude fouillée sur la défense du Mont, le ravitaillement et le financement de la garnison : David Fiasson, Ravitaillement, communications et financement de la garnison du Mont Saint-Michel (1417-1450). (disponible via des publications académiques) Wikipédia
Un article sur la résistance héroïque des chevaliers montois : 1423-1434, l’héroïque résistance des chevaliers du Mont Saint-Michel. patrimoine-normand.com
Une chronique médiévale du Mont-Saint-Michel (en PDF) pour les passionnés d’archives.
Conclusion
Le choix de Louis d’Estouteville le 17 novembre 1424 reste un moment bouleversant où la stratégie militaire et l’humanité s’entrechoquent. En expulsant femmes, enfants et prisonniers, il sacrifie une partie de sa communauté — mais gagne le temps nécessaire pour que le Mont résiste. Ce geste, dur mais déterminant, offre au Mont-Saint-Michel sa réputation de bastion imprenable pendant la Guerre de Cent Ans.









