
Le Traité de Montargis (1484) : l’acte discret qui rattacha la Bretagne au destin français
La France du XVe siècle n’est pas encore la nation unifiée que nous connaissons aujourd’hui. Le royaume sort des troubles de la fin du Moyen Âge, marqué par la guerre de Cent Ans, les grands féodaux turbulents, les ambitions étrangères et la lente consolidation capétienne. Dans ce paysage encore fragmenté, une terre demeure fièrement indépendante : la Bretagne. Un duché puissant, riche, profondément chrétien, jaloux de son autonomie face à l’autorité royale.
Pourtant, le 28 octobre 1484, dans la petite ville de Montargis, un acte apparemment discret et technique est signé : un traité dynastique entre Charles VIII, jeune roi de seulement quatorze ans, et François II, duc de Bretagne. L’accord prévoit que si François II meurt sans héritier mâle, le roi de France héritera du duché. Quelques lignes, un parchemin, une poignée de mains — mais voilà qu’une souveraineté vieille de plusieurs siècles se trouve suspendue à la vie d’un seul homme.
Ce traité, peu connu du grand public, est en réalité l’un des fondements de l’unité française. Il prépare, dans l’ombre, l’intégration de la Bretagne au royaume, acte qui marquera profondément l’identité nationale.
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Un contexte historique tendu : la France veut s’unifier, la Bretagne veut survivre
À la fin du XVe siècle, la France cherche à parachever ce que les rois capétiens avaient patiemment entrepris : mettre fin à la mosaïque féodale qui divisait le royaume et constituer un État fort, centralisé, capable d’unir le peuple chrétien sous une même couronne.
Louis XI, surnommé « l’Universelle Aragne » pour sa diplomatie habile et sa patience de stratège, avait déjà considérablement réduit la puissance des grands seigneurs. À sa mort, son fils Charles VIII est trop jeune pour régner seul, et c’est sa sœur, Anne de Beaujeu, qui assure la régence. Une femme d’une intelligence politique rare, animée d’une vision claire : l’unité du royaume passe par l’intégration définitive des territoires encore autonomes.
En face, François II de Bretagne, vieillissant et affaibli, incarne la résistance bretonne. Son duché, dernier grand fief réellement indépendant, jouit d’institutions solides, d’une noblesse soudée, et d’une identité chrétienne profondément enracinée. Mais il n’a qu’une fille, Anne, née en 1477. Aucune succession masculine en vue. Le destin du duché repose donc sur une enfant de sept ans.
C’est dans cette atmosphère tendue, entre méfiance mutuelle et calculs politiques, qu’est signé le Traité de Montargis.
Les protagonistes : trois figures pour un destin
Charles VIII, le roi adolescent prédestiné
Âgé de quatorze ans, Charles VIII est encore un jeune prince rêveur, peu préparé aux responsabilités. Mais derrière lui veille la main ferme d’Anne de Beaujeu. Loin d’être seulement un roi en devenir, Charles VIII incarne l’idée d’un royaume rassemblé sous une couronne chrétienne et française.
François II, le duc à bout de force
Le duc de Bretagne lutte depuis des années pour préserver l’indépendance de son territoire. Homme pieux, attaché à sa terre et à son peuple, il se retrouve pourtant acculé par les jeux diplomatiques européens, les dissensions internes et l’inévitable fragilité de sa lignée.
Anne de Bretagne, l’enfant qui deviendra reine deux fois
Anne n’a que sept ans en 1484, mais son destin dépasse déjà celui de bien des souverains. Duchesse à onze ans, femme d’État précoce, épouse successivement de deux rois de France, elle incarne la transition entre une Bretagne libre et une Bretagne intégrée au royaume. Figure éminemment française, honorée jusqu’à aujourd’hui, elle reste l’un des symboles les plus lumineux de cette période.
Le piège juridique : Montargis prépare l’avenir
Le traité stipule que si François II meurt sans héritier mâle, le duché reviendra au roi de France. François II, affaibli politiquement, accepte pour gagner du temps. Il espère marier Anne à un prince étranger — peut-être Maximilien d’Autriche — et ainsi préserver l’indépendance bretonne. Mais il signe quand même.
Ce n’est pas un piège perfide : c’est une mécanique politique, parfaitement maîtrisée par la régence française.
Cinq ans plus tard, en 1488, François II meurt. Anne devient duchesse. Elle tente de s’extraire du traité en contractant un mariage par procuration avec Maximilien. Aussitôt, Charles VIII intervient, invoquant Montargis. L’armée française entre en Bretagne. La jeune duchesse est contrainte d’épouser le roi en décembre 1491. La Bretagne, de fait, cesse d’être souveraine.
Montargis n’est donc pas seulement un accord dynastique : c’est l’acte fondateur qui rend possible l’unité territoriale de la France moderne.
Une anecdote rarement racontée : la chronique perdue du chapelain de Montargis
Peu le savent, mais une chronique rédigée par un chapelain de Montargis — conservée aujourd’hui dans un fonds privé et presque inconnue des historiens — décrit une scène étonnante lors de la signature du traité. Selon ce texte, François II, troublé et hésitant, aurait demandé à se retirer quelques instants dans la petite chapelle attenante au château où se tenait la rencontre.
Là, face à un simple crucifix de bois, il aurait murmuré :
« Seigneur, garde ma Bretagne dans la foi, même si demain elle doit changer de maître. »
Ce passage, bien que non confirmé par d’autres sources, reflète parfaitement l’état d’esprit d’un duc chrétien partagé entre l’amour de sa terre et le poids des circonstances. C’est aussi un témoignage puissant du rôle de la foi dans les décisions politiques de l’époque.
Pourquoi Montargis compte encore aujourd’hui ?
Parce qu’il scelle l’union d’un peuple.
Parce qu’il met fin à un morcellement féodal qui freinait l’essor de la France.
Parce qu’il permet à la Bretagne de s’inscrire pleinement dans l’histoire française, tout en conservant son identité, ses traditions, sa langue et sa fierté.
Le rattachement à la France ne fut pas une disparition, mais une transformation. La Bretagne resta bretonne — mais bretonne et française. Le royaume, lui, gagna une région profondément chrétienne, industrieuse et culturellement riche, qui marqua la nation de manière indélébile.
L’unité française : une œuvre patiemment construite
Montargis n’est qu’une étape dans une longue marche : celle de la France vers l’unité, l’autorité monarchique, la paix intérieure. Ce traité témoigne du génie politique capétien, capable d’unir sans détruire, d’intégrer sans effacer, de fédérer autour d’un destin commun façonné par la foi chrétienne, le sang versé, et l’amour de la terre.








