Quand un jeune ouvrier anarchiste inventa le terrorisme moderne : l’attaque de Léon Léauthier, 13 novembre 1893

Un soir de novembre 1893, Léon Léauthier, un jeune ouvrier anarchiste de vingt ans, accomplit un geste qui va résonner bien au-delà du simple fait divers : il poignarde un client au restaurant, choisi au hasard pour ce qu’il représente — la bourgeoisie. Ce n’est pas un assassinat ciblé, ni motivé par une revendication claire : c’est la terreur aveugle, la violence gratuite. À travers cet acte, Léauthier inaugure ce que les anarchistes appelleront la « propagande par le fait », une doctrine aussi radicale que redoutée. Plongeons dans le contexte historique, découvrons les acteurs, et explorons l’héritage troublant d’un geste isolé.

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Contexte historique

À la fin du XIXᵉ siècle, la France traverse une période turbulente. L’industrialisation s’accélère, creusant des inégalités sociales et économiques, tandis que la Troisième République fait face à des mouvements ouvriers de plus en plus revendicatifs. Le milieu anarchiste s’en nourrit : pour certains militants, les moyens traditionnels de protestation semblent inefficaces, et l’idée d’un “acte” violent comme catalyse politique gagne du terrain.

C’est dans ce climat que naît la propagande par le fait, stratégie prônant des actions violentes spectaculaires non pas pour une revendication précise, mais pour semer la peur parmi “les bourgeois” et réveiller la conscience révolutionnaire.

Cette période, parfois appelée « l’Ère des attentats » (1892-1894), voit une série d’actions anarchistes : l’affaire Ravachol, des attentats à la bombe, des assassinats, une répression policière croissante. Face à cette “guerre à mort” entre anarchistes et pouvoir, le geste de Léauthier apparaît comme une rupture : non plus une cible de pouvoir (état, parlement), mais un acte anonyme et systémique.

Portrait de Léon Léauthier et des personnages-clés

Léon Léauthier

  • Ouvrier cordonnier (ou “chaussure”), ancien de Manosque, il vient s’installer à Paris.

  • Il perd son emploi à la fin de septembre 1893, tombant dans la misère.

  • Militant anarchiste depuis l’adolescence (depuis l’âge de seize ans selon plusieurs sources).

  • Le 12 novembre 1893, il écrit à Sébastien Faure, un orateur anarchiste qu’il admire, exprimant sa colère et ses idées.

  • Le lendemain, il dîne au “Bouillon Duval” (et non au Marguery dans certaines sources), attend, puis poignarde un client qu’il ne connaît pas.

La victime, selon les sources :

  • Un diplomate serbe nommé Rista (ou Đorđe) Georgevitch, qui représentait à ses yeux la bourgeoisie.

  • Il survit à l’attaque, sorte de “miracle” dans ce contexte tragique.

Autres figures du contexte anarchiste :

  • Émile Henry, qui quelques mois plus tard fera sauter le Café Terminus à Paris.

  • Auguste Vaillant, qui lancera une bombe à l’Assemblée nationale.

  • Sante Geronimo Caserio, l’anarchiste italien qui assassine le président Sadi Carnot en juin 1894.

L’anecdote originale : visage méconnu de l’histoire

Voici une anecdote moins connue, que l’on ne lit pas toujours dans les entrées généralistes : Léon Léauthier ne fut pas seulement un “terroriste isolé”, il participa à une révolte au bagne. Condamné à la réclusion à perpétuité, il est envoyé en Guyane (le fameux bagne de Cayenne). Là-bas, en 1894, il rejoint d’autres anarchistes et participe à ce qui est souvent présenté comme la seule révolte anarchiste de l’histoire du bagne. Selon Yves Frémion dans son livre Léauthier l’anarchiste, cette révolte reste un épisode peu documenté, mais essentiel pour comprendre le destin tragique de Léauthier.

Conséquences et portée historique

  • Le geste de Léauthier est analysé par les historiens comme l’un des premiers actes de terrorisme “indiscriminé”.

  • Son procès, en février 1894, est perçu comme précurseur : au-delà de la simple justice pénale, il symbolise une nouvelle forme de menace sociopolitique.

  • Le contexte répressif se durcit : peu après, les lois “scélérates” de 1893-1894 sont votées, interdisant notamment la propagande anarchiste et réprimant sévèrement le mouvement.

  • Son acte, et d’autres autour de la même époque (comme celui d’Henry, Vaillant ou Caserio), contribuent à façonner l’image moderne du « terrorisme ». Certains historiens comparent directement les logiques de cette époque avec les dynamiques de violence politique du XXᵉ siècle.

Pourquoi ce moment reste important aujourd’hui

Cet épisode peut sembler lointain, mais il éclaire un phénomène bien contemporain : comment un individu isolé, animé par une idéologie, peut commettre un acte de violence qui dépasse sa personne. La “propagande par le fait” de Léauthier pose les bases d’une menace que l’on retrouvera sous d’autres formes : terrorisme idéologique, violences aveugles, radicalisation.

En analysant son geste, on comprend mieux les racines historiques de la peur politique moderne, et comment la société – à travers la répression, la loi, la justice – a essayé de répondre à ces défis.

📚 Pour aller plus loin

Si vous souhaitez approfondir ce sujet, voici quelques ressources utiles :

  • Le livre Léauthier l’anarchiste : De la propagande par le fait à la révolte des bagnards (1893-1894), par Yves Frémion. Les Éditions L’échappée

  • L’article de la revue Turbulences sur la “propagande par le fait” et son imagerie. Revue Turbulences

  • Une analyse historique des lois de 1893 et 1894, textes législatifs emblématiques de la répression des anarchistes. Wikipédia

  • Pour comprendre le parallèle avec le terrorisme moderne : un article universitaire sur les comparaisons entre anarchisme de la Belle Époque et terrorisme contemporain. OpenEdition Journals

Conclusion

L’acte de Léon Léauthier, le 13 novembre 1893, n’est pas seulement un fait divers tragique : c’est un symbole. Il incarne la dérive d’une colère sociale, d’une idéologie qui se radicalise, mais aussi l’émergence d’une stratégie nouvelle : la violence sans cible, la peur comme outil politique. En retraçant ce chapitre méconnu de l’histoire, nous comprenons mieux comment certaines idées politiques peuvent basculer dans la terreur, et pourquoi la riposte des États s’est structurée. Dans ce sens, Léauthier, jeune ouvrier, reste une figure-pivot entre la misère sociale, l’idéal révolutionnaire et la brutalité politique.

Rambarde Knight

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